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chapitre_7

Problématique

Même si les linguistes s’accordent à reconnaître le caractère très polymorphe des phrases du français, ils s’en remettent encore souvent à un schéma fondamental - diversement désigné « phrase de base », « phrase minimale », « phrase canonique » - tel que celui proposé par Riegel et al. (1999) : « La structure de base de la phrase française est celle d’une phrase assertive, simple […] et neutre […]. L’ordre des mots y correspond à la formule : (CC) – Sujet – (CC) – Verbe – Complément(s) / Attribut – (CC), où (CC) symbolise le complément circonstanciel, facultatif et mobile. » (p.109) Comme on le voit, ce schéma de base prévoit une ouverture de la phrase canonique par le constituant Sujet, éventuellement précédé d’un complément circonstanciel. Or la description des productions orales en français montre que le début des « phrases » (notion très suspecte en matière de langue parlée, dont nous entreprendrons la critique) exploite de manière récurrente certains phénomènes, tels que : -Le remplissage de la zone avant le Noyau sous forme d’éléments « détachés » divers (souvent dotés d’une valeur énonciative ou cadrative). -Les diverses réalisations de la fonction sujet. -La possibilité d’antéposer certains éléments de la rection, tels que les Objets. -Le statut « affaibli » que peuvent prendre certains verbes à valeur épistémique (il me semble, il paraît). -L’usage d’éléments comme c’est ou ce que, qui initient une structure clivée ou pseudo- clivée. Ces différents phénomènes présentent la caractéristique d’être différemment exploités selon les genres textuels, au point que la forme que prend le début des énoncés révèle souvent le type d’activité langagière ou le niveau de formalité adopté par le locuteur (par ex. la différence entre productions conversationnelles et parole publique).

Nous avons pris le parti d’organiser notre chapitre sous la forme de notices aux titres évocateurs, à la façon d’un petit « catalogue » qui décrit brièvement, illustre et référencie les faits linguistiques qui caractérisent le début des phrases en français parlé. Ce catalogue comprend les notices suivantes :

  1. Préliminaire : fait-on des phrases lorsqu’on parle ?
  2. Epexégèses
  3. Plusieurs locuteurs pour une seule phrase : le « locuteur collectif »
  4. Au commencement était… le Sujet
  5. Les subordonnées en si peuvent-elles être des Sujets ?
  6. Les sujets disloqués
  7. Dix ans il avait : les compléments en début de phrase
  8. Les « circonstanciels » en début de phrase sont-ils toujours des compléments ?
  9. Les clivées
  10. Les clivées qui n’en sont pas
  11. Les pseudo-clivées
  12. Les pseudo-clivées qui n’en sont pas
  13. il y a un problème : il est pas venu - Quelques manifestations de « l’effet deux points »
  14. je pense que c’est un peu handicapant : les verbes « faibles » en début de phrase
  15. celui là on est habitués : le hanging topic
  16. les débuts de phrases rares à l’oral

Cadre méthodologique et descriptif

Ce chapitre s’inspirera de certains travaux menés au sein du Groupe Aixois de Recherche en Syntaxe (GARS), qui a initié à partir de la fin des années 1970 des recherches novatrices sur la syntaxe du français parlé. Notre groupe a été l’un des premiers en France à prôner une approche « usage-based » de la description grammaticale, qui prenne appui sur de grands corpus oraux, relevant de genres variés. La description repose sur le cadre méthodologique de l’Approche pronominale (Blanche- Benveniste et al. 1984), qui a ultérieurement été étendu au domaine de la macrosyntaxe (Blanche-Benveniste et al. 1990). L’Approche pronominale est une méthode de description microsyntaxique des constructions verbales fondée sur la définition d’une relation de « proportionnalité » entre réalisation lexicale et pronominale des places de constructions (Sujet, Objet, Ajout). Ce modèle permet notamment de distinguer les constituants qui sont sous la dépendance syntaxique d’un verbe (éléments « régis ») de ceux qui ne le sont pas (« non régis »). 2

Cette description s’est enrichie d’une composante macrosyntaxique, qui prend pour objet la forme des énoncés, en distinguant l’élément central (le Noyau) des éléments satellites, dont le Prénoyau, qui apparaît en tête d’énoncé ; il est, par exemple, bien connu que les énoncés peuvent être introduits par une pluralité d’éléments Prénoyaux successifs, placés entre crochets dans l’exemple suivant : [Nathalie] [la salle de gym] [pendant l’année] elle a dû y mettre les pieds trois fois (Blasco, 2006, p.31) Dans les années récentes, cette méthode de description a été notamment exploitée dans le cadre de plusieurs projets d’annotation de grandes bases de données orales (Projets Rhapsodie et Orfeo).

chapitre_7.txt · Dernière modification : 2021/11/02 21:08 de laurent